Le CIUSSS de l'Estrie-CHUS veut traîner un conflit qui l'oppose à l'un de ses syndicats devant la Cour supérieure. L'établissement a confirmé qu'il s'opposerait jusqu'au bout à un jugement du Tribunal administratif du travail (TAT) le reconnsaissant coupable d'entrave aux activités du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP).
Le SCFP représente environ 6000 employés au CIUSSS, majoritairement des ouvriers et des préposés aux bénéficiaires, via sa section locale, la 4475.
En juin, une juge administrative du TAT avait reconnu le CIUSSS coupable d'entrave aux activités syndicales du SCFP 4475, car l'établissement avait banni des réunions de travail un conseiller syndical jugé incivil, Éric Bergeron. Le TAT ne s'était pas prononcé sur les gestes et paroles allégués de M. Bergeron, qui aurait notamment insulté des gestionnaires, mais a indiqué que le CIUSSS n'avait pas à l'exclure et que d'autres recours auraient dû être utilisés.
Non content du jugement, le CIUSSS l'avait portée en appel auprès d'un autre juge du TAT. Dans une décision rendue dernièrement, le 5 septembre, celui-ci valide le premier jugement.
Après cette seconde défaite, le CIUSSS de l'Estrie-CHUS a confirmé au 107,7 Estrie vouloir «faire une demande de pourvoi en contrôle judiciaire devant la Cour supérieure, afin que la situation soit réévaluée». On souhaite, autrement dit, faire appel du jugement devant la Cour supérieure.
Même si la décision rendue ne nous est pas favorable, nous tenons à rappeler que les actions posées par le CIUSSS de l’Estrie–CHUS avaient pour but de préserver un environnement de travail sain, respectueux et sécuritaire pour tous. Comme tout employeur, nous avons la responsabilité d’agir lorsqu’un comportement peut avoir des conséquences sur la santé et la sécurité du personnel.
Les représentants du SCFP contactés pour ce reportage n'ont pas donné suite à nos demandes d'entrevue.
Marge de manœuvre
Dans les deux jugements du TAT rendus dans ce dossier, on mentionne que les conseillers syndicaux doivent bénéficier d'une certaine marge de manœuvre dans les propos qu'ils ont le droit de tenir, afin de bien représenter leurs membres.
«On ne peut exiger que tous les échanges entre un syndicat et un employeur soient ponctués de sourires et de flagorneries. Les échanges de cette nature peuvent être tendus, voire acérés. Ce sont là les règles du jeu», écrivaient la première juge administrative dans le jugement initial, alors que le deuxième magistrat a renchéri «que malgré le fait que les parties se doivent mutuellement respect dans le cadre des relations patronales-syndicales, il est inévitable que des écarts surviennent compte tenu du rôle de chacun».
Interrogé à ce sujet, le Pr Finn Makela, qui se spécialise notamment en droit du travail à l'Université de Sherbrooke (UdeS), convient que la jurisprudence accorde une lattitude plus grande aux conseillers et représentants syndicaux.
«Parce que le syndicat a l'obligation d'être le porte-voix de ses membres, parfois, ça prend une position un peu plus dur», expose-t-il.
Cela ne justifie pas tous les écarts, poursuit le Pr Makela. Par contre, dit-il, un employeur ne peut pas choisir qui représente le syndicat dans les négociations : si un employeur a un problème avec un représentant syndical, il doit le gérer avec les mécanismes prévus à la convention ou avec une poursuite en diffamation, si les circonstances le permettent, donne en exemple Finn Makela.
Pour le Pr Rémi Labelle-Deraspe, spécialisé en civilité au travail à l'UdeS, les acteurs impliqués dans les discussions entre patrons et syndicat doivent, dès le départ, identifier des cadres clairs à ne pas franchir dans les discussions et les conséquences associées à une transgression afin, justement, d'éviter le plus possible les manques de respect et l'incivilité.
«C'est quoi le message qu'on envoie si on ne fait pas ça? C'est que c'est correct d'agir de façon problématique comme ça», souligne-t-il.
Selon Finn Makela, il est assez rare qu'un tribunal de droit commun, comme la Cour supérieure, renverse le jugement d'un tribunal administratif spécialisé comme le TAT.