La proportion d’élèves ayant un plan d’intervention scolaire a explosé au Québec au cours des deux dernières décennies. Aujourd’hui, un élève sur quatre au primaire, et un sur trois au secondaire, fait l’objet d’un tel plan. Une situation que plusieurs spécialistes jugent alarmante, à commencer par Eugide Royer, expert en réussite scolaire, qui réclame une révision en profondeur de la politique d’adaptation scolaire du Québec.
«Ce n’est pas qu’on est contre les plans d’intervention, mais là, c’est devenu une véritable machine bureaucratique», déplore M. Royer.
Des chiffres qui s’emballent
En 2001, on comptait environ 102 000 élèves en difficulté identifiés officiellement. En 2014, ce chiffre avait doublé à 200000. Aujourd’hui, en 2025, on parle de 282000 élèves. Pourtant, la population scolaire n’a pas doublé dans le même temps.
Ces données soulèvent de sérieuses questions sur l’efficacité du système. Malgré les plans mis en place, seulement 50% des élèves identifiés comme en difficulté obtiennent leur diplôme d’études secondaires dans les délais. Et le phénomène se poursuit au cégep où 15% des étudiants collégiaux sont désormais considérés comme en situation de handicap ou d’adaptation, bénéficiant d’une série de mesures particulières (temps supplémentaire aux examens, logiciels d’aide, preneurs de notes, etc.).
Un système inefficace et coûteux?
Selon Eugide Royer, la question n’est plus de savoir s’il faut aider les élèves, mais plutôt si le système actuel fonctionne vraiment.
«On dépense 3,7 milliards de dollars par année pour les élèves en difficulté, et pourtant les résultats ne suivent pas. C’est comme verser de l’eau dans le sable», affirme-t-il.
Il dénonce également le manque de données claires et demande un état des lieux objectif, couvrant toutes les régions du Québec, pas seulement Montréal et Québec. Il propose de confier cette mission au Vérificateur général ou à l’Institut d’excellence en éducation, pour produire un portrait détaillé et neutre de la situation.
Un effet de mode?
Autre sujet de préoccupation, la multiplication des diagnostics douteux ou prématurés, souvent posés en dehors du réseau scolaire, notamment pour les troubles du déficit de l’attention (TDAH). M. Royer évoque une donnée troublante : les enfants nés en septembre auraient 35% plus de chances d’être étiquetés TDAH que ceux nés en juillet ou août. Une dérive qu’il attribue à la confusion entre immaturité normale chez les jeunes enfants et troubles neurodéveloppementaux.
«Une fois l’étiquette posée, l’enfant s’identifie à son diagnostic. Et maintenant, les réseaux sociaux comme TikTok amplifient encore le phénomène. On est en train de créer des faux positifs en série», avertit-il.
L’écart inquiétant entre francophones et anglophones
Autre fait marquant, le taux de diplomation après 7 ans des élèves handicapés est de 51% chez les francophones, contre 77% chez les anglophones. Un écart de 16 points que M. Royer qualifie de «sidérant» et qui, selon lui, mérite une explication urgente.
Une politique qui date de 26 ans
La politique actuelle d’adaptation scolaire date de 1999. Pour M. Royer, elle est tout simplement désuète. Il estime qu’il est grand temps d’en faire une révision sérieuse, fondée sur les pratiques exemplaires ailleurs en Amérique du Nord.
«On ne peut pas continuer comme ça sans s’interroger. On empile les mesures, les interventions, la paperasse… Et pourtant, plusieurs jeunes ne vont pas mieux. Il est temps de faire le point», conclut-il.