Le ton monte à nouveau entre les médecins spécialistes et le gouvernement du Québec. Réunis devant le CHUS Fleurimont jeudi matin, les représentants de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) ont annoncé avoir déposé une demande de sursis provisoire afin de suspendre certaines dispositions de la Loi 2 sur la rémunération des médecins.
Dans leur requête, les médecins soutiennent qu’une intervention rapide du tribunal est nécessaire pour éviter un «préjudice irréparable» déjà en cours. Ils affirment que la loi porte atteinte à leurs libertés fondamentales et nuit à la qualité des soins offerts aux patients.
Des articles jugés liberticides
Le président de la FMSQ, le Dr Vincent Oliva, explique que le recours vise d’abord à contester les articles de la Loi 2 qui interdisent toute action concertée susceptible d’affecter l’accès aux services médicaux ou d’entraver la formation des futurs médecins.
«Nous demandons à la Cour de suspendre les dispositions les plus liberticides de la loi», a-t-il déclaré en conférence de presse à Sherbrooke. «On empêche les médecins de s’exprimer, de moduler leur pratique, même pour enseigner ou faire de la recherche. La liberté de pratique et d’expression est menacée.»
La FMSQ dénonce également la mise en place d’un système de surveillance jugé excessif, qui obligerait les médecins à se justifier de toute modification à leur charge de travail et qui prévoirait des amendes pouvant atteindre 20000 dollars par jour en cas de non-respect.
Un climat tendu dans le réseau de la santé
Cette nouvelle offensive judiciaire survient alors que le milieu médical est déjà ébranlé par le départ du Dr Lionel Carmant, qui a quitté son poste ministériel pour siéger comme député indépendant. Sa fille, Laurence Carmant, a pour sa part signé une lettre ouverte affirmant envisager de quitter le Québec pour pratiquer ailleurs.
Le Dr Oliva n’a pas voulu spéculer sur les raisons de la démission, mais il reconnaît que plusieurs médecins partagent ce sentiment d’épuisement et de désillusion :
«La lettre de Laurence Carmant est puissante. Elle exprime ce que plusieurs vivent : des conditions de pratique devenues intenables.»
Selon la FMSQ, des dizaines de médecins auraient amorcé des démarches pour obtenir des permis de pratique dans d’autres provinces, notamment en Ontario et dans les Maritimes.
Médecins et étudiants unis devant le CHUS
Sur place, plusieurs spécialistes, étudiants, résidents et infirmières ont manifesté leur appui au mouvement.
La Dre Dominique Hanna, dermatologue en Estrie, dit se sentir «blessée» par la Loi 2: «Ce projet attaque nos droits, nos valeurs et la relation médecin-patient. On refuse de transformer la médecine en une mécanique industrielle gérée par des fonctionnaires.»
Même son de cloche du côté de la Dre Marie-Claude Roy, pédiatre et présidente de l’Association des pédiatres du Québec, qui craint des fermetures de cabinets et un découragement généralisé: «On observe une grande démotivation. Plusieurs médecins de 55 ans et plus songent à quitter plus tôt, faute de reconnaissance et de soutien.»
Le Dr Dominique Tremblay, gynécologue-obstétricien au CHUS, abonde dans le même sens: «Nous appuyons à 100 % la démarche judiciaire. Ce n’est pas qu’une question de rémunération, c’est une question de droits fondamentaux.»
Un malaise profond
Le mouvement dépasse désormais la question salariale. Plusieurs spécialistes, dont le Dr David Fortin, neurochirurgien reconnu de Sherbrooke, admettent réfléchir à quitter le Québec: «Après 25 ans ici, c’est la première fois que j’envisage sérieusement de partir», a-t-il confié.
Alors que le gouvernement Legault cherche à imposer plus de reddition de comptes au sein du réseau, la FMSQ affirme vouloir « rouvrir le dialogue » plutôt que de rompre le lien de confiance entre l’État et les médecins.