Depuis 2020, en Estrie, plus de cent personnes âgées sont décédées en raison des conséquences causées par une chute dans un CHSLD ou une résidence pour aînés. Dans près du quart des cas, des lacunes dans la prévention ou la déclaration de ces chutes ont été observées. Est-ce une réalité avec laquelle nous devons composer ou est-ce que des mesures peuvent être mises en place pour limiter le nombre de ces décès?
Le 107,7 Estrie a épluché l'ensemble des rapports du coroner rédigés pour des décès causés par des chutes dans des centres d'hébergement ou des résidences pour aînés en Estrie entre 2020 et la mi-avril 2025. Nous les avons reçus grâce à la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics.
Sur 106 décès liés à des chutes recensés par le bureau du coroner dans les CHSLD, maisons des aînés, RPA et RI de l'Estrie :
- 24 rapports comportaient des recommandations ou des pistes de réflexion, soit du coroner ou des équipes de contrôle de la qualité au CIUSSS de l'Estrie-CHUS,
- 96 décès ont eu lieu dans un CHSLD,
- De ces 96, 48 se sont produits dans un CHSLD de Sherbrooke,
- 27 de ces 48 sont survenus à l'établissement Argyll.
La situation à Argyll est d'autant plus préoccupante, alors que ce centre compte non seulement le plus grand nombre de décès liés à des chutes, mais aussi le plus grand nombre de décès qui ont fait l'objet de recommandations a posteriori.
Dans cet établissement, neuf des 27 rapports rédigés contenaient des recommandations de la part d'un coroner ou de la direction de la qualité, de l’éthique, de la performance et du partenariat (DQEPP) du CIUSSS. Quand des recommandations sont émises, c'est que des lacunes ont été observées dans le continuum de soins, dans la prévention ou dans la déclaration de l'événement, lacunes qui peuvent avoir eu une incidence sur le décès.
On parle donc d'un taux de 33% pour Argyll, supérieur de 10% à la moyenne estrienne. Les recommandations vont dans tous les sens, allant d'enjoindre les infirmières à mieux documenter les décès pour que les prochains soient mieux prévenus à carrément demander un meilleur suivi auprès des gens qui sont susceptibles de chuter plus souvent dans des cas où cela n'avait pas été fait.
En entrevue, la cogestionnaire médicale de la direction de l'hébergement et des soins de longue durée du CIUSSS, la Dre Suzanne Gosselin, explique que le CHSLD Argyll accueille plus de gens, d'une part, et compte, de l'autre, des unités poussées pour des usagers avec des problèmes particuliers.
Décès inévitables?
La Dre Gosselin est catégorique : «le risque zéro n'existe pas» en termes de chutes dans les CHSLD. La ligne entre l'autonomie des personnes âgées et le risque qu'elles chutent est assez fine et le but n'est pas non plus d'empêcher ces personnes de vivre.
Or, des situations surviennent parfois lors desquelles les mesures mises en place n'étaient pas, ou peut-être pas, suffisantes. Dans un rapport rendu récemment concernant un décès au CHSLD de Magog en février 2025, la coroner Kathleen Gélinas a des raisons de croire que les soins prodigués après une chute n'étaient pas optimaux, recommandant au CIUSSS de les passer en revue. Son rapport fait aussi état d'un détecteur de mouvement, utilisé pour prévenir des chutes, qui n'a pas sonné.
La Dre Gosselin convient que plusieurs éléments, comme un changement rapide de l'état d'un patient, par exemple, peuvent complexifier la prévention en continu des chutes. Elle mentionne toutefois que le CIUSSS est en apprentissage et en vigie continus pour prévenir le plus grand nombre de chutes.
Mais au-delà des cas où il y a des problèmes observables comme ceux-ci, les chutes dans les établissements de santé doivent être adressées de façon globale, plaide Me Josée Bédard, coroner en chef adjointe du Québec.
En entrevue, elle indique qu'il y a «une explosion» des décès par chutes au Québec depuis 2015, largement attribuable au vieillissement de la population. Ces décès suivants des chutes occupent d'ailleurs énormément les coroners au Québec, dit-elle.
«Ces chutes ont connu la plus forte croissance depuis 2015. On parle de 300 cette année-là à plus de 2000 en 2024. Pour nous, c'est un enjeu qui est extrêmement important, ça va de soi», dit-elle.
Me Bédard rappelle d'ailleurs que 5% seulement des rapports du coroner font l'objet de recommandations. Néanmoins, les données recueillies lors de chaque enquête, même si elles ne mènent pas à des recommandations, sont «précieuses» dans l'apprentissage des meilleures pratiques de prévention des chutes, selon elle.
Le Bureau du coroner est d'ailleurs impliqué sur différentes tables de concertation avec des acteurs gouvernementaux pour mieux prévenir les chutes.
Écoutez le dossier d'Anthony Ouellet
Source: Cogeco Media